Godfried-Willem Raes, Colóquio-Artes nr. 22
April, 1975
[Excerpt]
This text was originally published in French. It is also available in Portuguese.
Une salle tout à fait noire, des praticables mobiles occupés par un public intéressé, une dizaine de haut-parleurs distribués un peu partout dans la sale, des appareils électroniques amoncelés sur une table trop exiguë, un mélange d’instruments divers (certains orthodoxes, mais la plupart non orthodoxes) sur un podium informel et trois grands écrans suspendus ont constitué le décor et l’environnement de cet événement unique dans I’ histoire des recherches artistiques d’avant-garde dans le domaine des mixed-media. Le festival de l’inattendu, de la véritable expérimentation, des contacts toujours fructueux entre chercheurs de la nouvelle culture de toutes nationalités, tel était le but essentiel que s’étaient fixé les organisateurs (c’est à dire Logos, groupe international de musique d’avant-garde engagée et de mixed-media).
Le festival, qui a duré trois jours, fut ouvert par Ben Vautier, habitué de ces manifestations à travers le mouvement Fluxus. Ensuite le groupe Logos lui-même présenta une oeuvre de mixed-media intitulée Que faire? (Lénine). D’un point de vue macroscopique cet événement mixed-media se déroulait en trois parties:
I – L’individu présenté dans un cycle économique déterminé de production, de consommation et/ou de divertissement. Problème central: l’impuissance de l’individu.
II - Généralisation: le monde, vu comme un système intégré, soit les moyens de production, le progrès,
l’impérialisme, les sciences toutes puissantes opposés à une pulsion utopique vers un système égalitaire, fini et limité, ce qui apparaît comme nécessairement autodestructeur.
III – Que faire? Ou l’aspect limitatif des mixed-media pour le public. Qui conque ne peut trouver de réponse personnelle à cette question rentre chez lui après la représentation, insatisfait et en état de conflit, la question demeurant ouverte.
Cette oeuvre a été réalisée en réponse à une question qu’on nous avait posée concernant la possibilité d’une musique politique. Notre réponse était triple:
1 – On pourrait penser à libérer les relations entre les musiciens, ces relations étant le symbole d’une manière de produire qui pourrait exister dans une société future et alternative. C’est le collectivisme dans la production artistique.
2 – Créer des événements sonores, c’est à dire musico-théâtraux, d’un contenu (littéraire ou visuel) purement informatif ("neutre"), ayant pour but l’introduction de conflits dans un événement social de type "concert", qui est normalement un lieu de détente, sans donner les solutions, ni même l’orientation d’une alternative pour résoudre ces mêmes conflits. II s’agit donc de passer d’une esthétique "masturbatrice" à une esthétique de conflit.
3 – Essayer de faire participer le public; l’alternative politique, en ce qui concerne la musique, serait donc que le peuple prenne le pouvoir sur la musique et sa technicité: la culture appartenant aux spécialistes est une culture morte et bourgeoise. Faudrait que le peuple devienne maître de ses propres possibilités créatrices. L’oeuvre Que Faire? fut un essai pour donner une forme concrète aux réponses 1 et 2. La première soirée du Festival s’achevait sur une création portugaise: Ernesto de Sousa et Jorge Peixinho dans une production intitulée Luis Vaz 73. Cette oeuvre utilise comme matériel de base Les Lusiades du poète portugais Luis Vaz de Camões. Une décomposition/recomposition selon le schéma ci-joint transforme le poème de la Renaissance en une oeuvre contemporaine de mixed-media (à savoir: musique électronique + multi-projections) : La musique de Jorge Peixinho s’appuie sur une série de structures élaborées d’avance qu’il met en relation avec les moments typiques du poème, (il ne s’agit nullement ici de folklorisme mais d’un choix en fonction de la dialectique historique de la culture décrite par Camões). L’idéologie musico-politique que l’on pourrait associer à ce procédé est, dans un sens purement formel, plus ou moins analogue à celle des anglais Cornelius Cardew (Taelman Variations) et John Tilbury: ce n’est que l’opposition de thèses (musicales) contradictoires qui peut montrer et apprendre quelque chose de "vrai" au spectateur. C’est la confrontation permanente du spectateur à la mise en question: il doit choisir, faire un choix idéologique et, par conséquent, politique.
Si l’on n’était pas certain du progressisme radical de l’esthétique de Peixinho, on pourrait mettre fortement en doute la clarté politique et, surtout, la communicabilité de tels procédés. (…) On devrait donc réduire le message extra-musical à un appel au public, suivant le titre de l’oeuvre, pour qu’il s’intéresse aux moments progressistes de l’histoire de sa propre culture, afin de lui apprendre à choisir aussi dans l’actualité les courants progressistes existants. Cette analyse pourrait démontrer le fondement marxiste de la pensée esthétique de Peixinho.
La majeure partie de ce qui a été dit à propos de la musique électronique de Peixinho est applicable à la photographie d’Ernesto de Sousa. Mais le matériel de base d’Ernesto de Sousa est encore plus clair. C’est d’abord le poème, qui n’est pas présent dans l’oeuvre totale, puis la musique de Peixinho avec laquelle les relations diapositives/musique sont évidences dans l’oeuvre puisque perceptibles au moment même de l’exécution. Mais indépendamment, les séries de diapositives forment elles aussi des structures intelligibles, possèdent une structure propre, une cohérence interne, puisque bien que présentes dans l’oeuvre, elles fonctionnent en même temps comme autocitation d’Ernesto de Sousa (en effet, certaines séries de diapositives sont empruntées à d’autres projets pour des réalisations antérieures).
Le contenu idéologique du medium/diapositive (et ceci est dû aux possibilités particulières des media visuels) est plus évident que celui de la musique: des aperçus des rues de Lisbonne, avec des affiches politiques collées un peu partout, témoignent du choix de l’auteur.
II faut maintenant ajouter quelques remarques au sujet de la totalité mixed-media de Luiz Vaz 73. Cette totalité fonctionne comme un environnement: le public fait partie du spectacle, entouré qu’il est d’images visuelles et de musique (distribuée en quadriphonie). Le projet est à chaque instant d’une complexité telle que le spectateur est obligé de participer, de se choisir des "points de vue", de reconstituer pour lui-même les interrelations dans le perceptible, etc…. et c’est justement ce qui rend ce Luiz Vaz 73 si attirant et si intéressant. On ne peut que conseiller aux auteurs de continuer leurs démarches, leurs recherches en mixed-media et leur fructueuse collaboration. Le Portugal, après un long silence culturel, a besoin de créateurs qui s’engagent à établir une culture vraiment progressiste, évitant les pièges d’une pseudo-culture de consommation et d’aliénation ou d’une pseudo-culture rétrospective, figée dans des "valeurs éternelles".
Avec la "Compagnie d’Opéra-Bouffe Portugaise" qui donna un spectacle le jour suivant, on peut affirmer que la contribution portugaise à ce Festival a constitué une véritable révélation, dont on attend avec intérêt les développements futurs.