Bibliografia

Chegar Depois de Todos com Almada Negreiros

Colóquio das Artes, nº 60
Outubro de 1970

Texto disponível apenas em francês, editado e traduzido por M.T. Mandroux.


L’auteur, qui prépare actuellement un film consacré à Almada Negreiros, expose la manière dont il aborda et pénétra la personnalité de l’artiste, évoquée ici à travers une série de réflexions et d’entretiens successifs. À partir d’une première entrevue, survenue il y a plus de vingt ans, "la problèmatique Almada Negreiros" grandit en lui sans qui puisse trouver de réponse aux énigmes qu’elle posait ("le plus grand peintre néo-réaliste s’il eût été un néo-réaliste; le plus extraordinaire poète et romancier érotique si l’érotisme eût vraiment absorbé sa poétique; auteur du premier et peu-être unique chef d’oeuvre surréaliste portugais (La Repasseuse, 1917) écrit avant que le surréalisme n’apparaisse en Portugal, et avant Anicet, Nadja, Le Paysan de Paris; le seul grand dramaturge portugais depuis Raul Brandão s’il avait continue à écrire pour le théâtre…"), énigmes auxquelles se superposent plus encore la dispersion et la versatilité de ses activités… les échos dès grandes batailles poético-géométriques dont Almada cultivait messianiquement le mystère… et jusqu’à la difficulté d’étudier intégralement une oeuvre sans liaison apparente, sans point d’ évidence. Enigme entretenue par Almada Negreiros lui-même comme par jeu, jusqu’à ce que l’auteur comprenne qu’en Almada Negreiros un tel jeu dramatique était nécessaire, avec la vie, avec les autres, avec lui-même.

Cette prise de conscience fut la base d’un rapprochement entre l’auteur et Almada Negreiros, et constitue sans doute la clef de son film. Leurs "retrouvailles", se situent il y a près de deux ans, alors que l′auteur, obéissant à un besoin profond, sollicitait de l’artiste l’autorisation de lui rendre visite une seconde fois. Il comprit alors, en l´espace d’un instant, qu’une telle visite ne pourrait le satisfaire; "il y avait tout un chemin à découvrir et ce chemin, je devais le parcourir à ma manière, au moyen d’une enquête et d’une enquête filmée – ou mieux, comme processus qui m’approchât de cet indispensable contemporain et qui me le révélât."

Au cours de cette seconde entrevue, qui fut déterminante, Almada Negreiros rappela à l’auteur une certaine histoire, que celui-ci aurait raconté à l’occasion do leur première rencontre et qu’Almada Negreiros n’avait pas oubliée. Elle se passe en Afrique, dans un village indigène totalement éloigné de la civilisation, où une équipe d`ingénieurs, arrivés pour construire routes, ponts, barrages, recrutent des ouvriers. L’un d’entre eux, remarquant un homme qui se tenait l’écart et s’étonnant de son indifférence à la situation, reçois cette réponse: "Celui-ci? non – c’est notre Artiste!" Mettant en question le sens véritable du mot artiste, l’auteur oppose la vieille conception romantique de l’artiste créateur "unique et privilégié" d’autres nécessités collectives plus profondes" liées la vie contemporaine. Il affirme ensuite que l’artiste, comme individu ne peut ni doit perdre rien de ce qu’il a gagné et n’a pas à retourner à la condition d’esclave. Il aura les privilèges inhérents à sa condition opérationnelle spécifique et appartiendra absolument à la collectivité, dès lors que celle-ci sera légitime: tout comme l’artiste tribal. On pourrait dire également comme "Almada Negreiros artiste portugais qui aime sa patrie".

Mais quelle patrie, quel temps, quelle collectivité où l’égoïsme total soit licite et possible? ("Il n’existe qu’un égoïsme acceptable l’égoïsme absolu" Cette réflexion d’Almada Negreiros constitue peut-être le point focal de sa personnalité.) Le temps d’Almada Negreiros fut donc un temps illégitime. Cette définition, que José Augusto França applique à la première génération moderniste portugaise peut-être élargie à un temps plus vaste. Tout ce qu’il y a d’intention messianique chez Almada Negreiros relativement à fonction de l’artiste, ne relève pas seulement d’une justification historique: celle de sa génération moderniste et futuriste tentant de "créer le Portugal du XXe siècle". "Plus important est peut-être l’homme isolé dans son temps, ainsi que cette situation romantique vécue par la force des circonstances."

L’auteur expose ensuite les difficultés ressenties pour faire admettre à Almada Negreiros son projet de film. "L’enregistrement plus ou moins mécanique des autres est impudique bien c’est une falsification." Mais lui-même avait une justification profonde: cette énigme, non moins troublante, que son admiration pour l’artiste. Et, par dessus tout, la conviction qu’Almada Negreiros lui était nécessaire tout comme à ses contemporains. «Commencer, et commencer avec Almada Negreiros sont dés réalités portugaises qui se confondent.» Finalement, c’est au niveau de l’humilité que l’intimité s’établit entre l’artiste et son metteur en scène, lorsque Almada Negreiros en vint à parler de ses doutes à l’égard do son oeuvre elle-même. "Il m’est arrivé parfois de penser que j’avais fait des choses importantes". La même attitude lui permettait d’être ému profondément par la récitation d’un de ses poèmes, tout comme s’il n’avait pas été à l’origine de l’oeuvre d’art elle-même. Mais cette capacité de se voir, et même, poétiquement, de se dissimuler, exigeait une lucidité aigue, a la fois optimiste et amère.

Créer la Patrie Portugaise du XXI siècle - projet impossible, si ce n’est au niveau de l’énergie destructrice – ne pouvait être qu’un ultimatum ou certainement pas un programme. Si un programme "est un nouveau cadre de structures possible et tend à organiser un futur de certitudes, Almada Negreiros et ceux de son groupe ne possédaient aucune de ces certitudes". Ils se savaient parfaitement isolés et ne pouvaient s’appuyer que sur leurs propres énergies "étonnamment cérébrales et physiques". Ses compagnons rapidement disparus, Almada Negreiros "avance donc parfaitement seul vers le futur, avec un ultimatum, comme un ultimatum". Caricaturiste, romancier, peintre, danseur, essayiste, dramaturge,  acteur, poète, il fut tout à la fois avec plus ou moins de fécondité. "Mais une analyse même superficielle montrerait que tout ceci ne constitue pas une oeuvre, que tout ceci fait partie d’une action, d’un processus, plus précisément d’un ultimatum." Selon l’auteur c’est dans cette ouverture que réside la modernité et l’intérêt actuel d’Almada Negreiros

Almada Negreiros parlait souvent des dix années qui lui manquaient encore. Dix années, c’est dire le futur d’un futuriste, qui ne saurais être contenu dans les termes d’un manifeste, mais dans une "constellation conjoncturelle", position dont durent se contenter un Maïakovski (et l’impact social russe), Boccioni, Marinetti (et l’industrialisation naissante en Italie), Almada Negreiros (et l’indifférence en Portugal). Si la tendance dadaïste, du futurisme portugais a été signalée, la génération d’Almada Negreiros et de Fenando Pessoa fut essentiellement une "génération constructive". Ce n’est qu’au niveau du processus et de l’impossibilité de programme que la destruction se situe chez Almada Negreiros. Au niveau de l′humour également. "Être seul avec un ultimatum, à la main, c’est assumer une situation de clown."  C’est sans doute de Maïakovski qu’Almada fut le plus proche. "Le clown et le révolutionnaire sont frères jumeaux."

"Je sens que le moi pour moi c’est trop peu", disait Maïakovski. La glorification du moi était une manière de se dépersonnaliser. Et il affirmait, en parlant de la littérature:

"Vint un moment où je m’échappe en elle." Il aurait pu le dire également de la peinture et d’autres modalités artistiques.

Sa passion pour les nombres… correspondait à la nécessité absolue de fouler un terrain qui ne fut pas contaminé par un temps illégitime ou illicites, à la recherche d’une vérité "Perpétuée et Perpétuable". Cette entreprise qui lui était nécessaire, n’avait rien à voir avec la poussière lyrique des équations, des postulats et des démonstrations parascientifiques. "C’était une pensée dialectique et rigoureuse, la mémoire et l’oubli, le futur et le retour au passé, le génie et la jeunesse, l’égoïsme et la générosité."

Revenant au problème de la communication, l’auteur constate que celle ci ne s’est révélée possible "qu’au niveau de l'extraordinaire et, citant Almada Negreiros lui même: "Nous sommes en train de faire une recherche, appelons la recherche… de celles qui comportent une communication valable, unanime oui, c’est bien cela." L’intimité est toujours une liturgie ou le constant appel à une future liturgie. De ceci également dit, Almada Negreiros avait pleinement conscience. Ce niveau atteint, la communication est rendue, possible, car il ne s’agit plus de supporter les artifices, les caméras, la mise à nu de l’intimité. "Tout est inclus, tout est sacré."

Mais "une telle communication valable ne peut être l’objet d’un article, d’un film, d’un livre de mémoires. Une vie entière est nécessaire, tout compris chemin liturgique vers une unanimité sacrée". Et de conclure en ces termes: "Almada révélé: acteur total, auteur toujours à la recherche de l’unisonorité, de l’unicité!"