Marcel Martin, Cinema 1963, n.º 78, p.138–139
Julho–Agosto de 1963
[Excerto]
Texto originalmente publicado em francês.
DOM ROBERTO d' Ernesto de Sousa
De la très faible production portugaise (de un à cinq longs métrages par an, dans un pays qui compte moins de 350 salles et où la fréquentation est une des plus faibles d'Europe), rares sont les films qui parviennent jusqu'à nous et jamais autrement qu'en projections privées. C'est ainsi qu'on a pu voir récemment le premier long métrage du cinéaste Ernesto de Sousa, DOM ROBERTO.
João, le héros du film, est un montreur de marionnettes ambulant il va de quartier en quartier avec son petit théâtre qui porte le nom de Dom Roberto, le Guignol portugais. Il est très misérable mais il trouve encore plus malheureux que lui, une jeune femme désespérée de ne pas trouver de travail. João, qui a une conception optimiste de la vie même au milieu des pires difficultés, La réconforte et s'installe avec elle dans une maison vouée à la démolition et dont ils seront bientôt chassés. Pourtant, ce fin pessimiste n'est pas désespéré. Sur la dernière image, une voix dit: "Mais ce n'est pas encore la fin: la fin n'arrive que pour ceux qui renoncent."
Telle est la morale du film: elle peut sembler banale, conformiste même. Mais quand on sait qu'une censure redoutable pèse sur le cinéma portugais, cette simple petite phrase apparaît comme presque révolutionnaire. Le personnage de Joao apparaît comme un brave garçon très naïf et très gentil, sons grande consciente sociale et sons capacité apparente de révolte: mais sa résignation n'est que le résultat et le symbole d'un étouffement entretenu par une société et par un régime qui font peser sur les hommes une chape de plomb. Et, bien entendu, on serait mal venu de reprocher au réalisateur une vision un peu trop aimable, un peu trop pittoresquement néo-réaliste (l'influence de Zavattini est assez sensible, même si elle est accidentelle: on pense au TOIT) si l'on connaît les conditions de La création artistique au Portugal.
II existe un "fonds du cinéma" créé dans le but d'aider la production nationale et dont les ressources proviennent essentiellement d'un impôt sur l'exploitation et l'importation des films étrangers: ce fonds représente 10 à 20 % du budget d'un film et il est attribué en fonction d'autres critères que ceux de la qualité. DOM ROBERTO a été produit de manière totalement indépendante. Une coopérative de spectateurs (selon une formule inspirée de l'expérience de Renoir pour LA MARSEILLAISE, ainsi que des précédents italiens et japonais) a été créée, l'équipe technique a accepté de travailler en participation, les laboratoires ont accordé un crédit important et une avance sur La distribution a été obtenue.
La faiblesse des moyens techniques est visible dans le film. D'autre part La construction en est parfois maladroite (li souffre de longueurs et de lenteur) mais son esprit est fort sympathique même s’il faut lire en partie entre les lignes pour y déceler la combativité du message qui sourd à travers l'apparente résignation d'un homme écrasé par quelque chose qui n'est pas la fatalité mais très précisément les tares d'un régime social. Le film est sorti dans le plus grand cinéma de Lisbonne et il a obtenu d'assez bonnes critiques. La plus significative a été celle qui déclarait: "C’est la fin de l'indifférence... Voilà quelqu'un qui s'est rapproché de la réalité portugaise par son peuple." Et encore: "C'est un souffle de lyrisme et de fraternité auquel nous n'étions plus habitués..."
Ernesto de Sousa est né en 1921, il a créé en 1945 le premier ciné-club portugais, a collaboré à diverses revues artistiques, écrit plusieurs livres de cinéma, il a fondé et dirige la revue de cinéma Imagem et a réalisé plusieurs courts métrages. Son premier long métrage est une date importante pour le cinéma portugais: il annonce des temps nouveaux. (...)
Ernesto de Sousa (ainsi qu'Arnaldo Aboim, pionnier de la culture cinématographique au Portugal) a été arrêté en mai dernier à la frontière au moment où il quittait son pays pour se rendre au Festival de Cannes. Deux télégrammes, adressés de Paris et de Sestri Levante au Président Salazar en faveur des détenus et signés par de nombreuses personnalités du cinéma, ont été suivis de la libération des prévenus après un mois d'emprisonnement, sans qu'aucun motif d'inculpation leur ait été signifié.